Sunday, March 19, 2006

Aidez-moi à sauver ma fille

Impasse. Je l'ai ressenti deux ans après la naissance de Marie. L’impasse de son être, le handicap. Cette année, Marie a 30 ans. Et moi, le double. Et depuis 15 années , la moitié de sa vie, elle séjourne à Verneuil-sur-Avre, dans un centre de handicapés. Ses parents ont cédé la place à des professionnels. Ces derniers font leur métier. Ils ne sont pas attachés à elle d’une façon fusionnelle. Quoique le dévoument de plusieurs monitrices est remarquable.
La présence d’animaux au centre est interdite. Eux supportent bien l’approche du handicapé. Les animaux n’ont pas le sens de la promotion sociale, de l’utilité de contact. Ils acceptent l’initiative des handicapés puisque le handicap humain n’existe peut-être pas pour les animaux. Les handicapés sont acceptés pleinement par les quadrupèdes (et autres… perruches et poissons rouges).
Depuis le mois de décembre 2004, Marie hurle la nuit. Elle ne sait pas expliquer ses crises d’angoisse nocturnes. Je l’ai entendue hurler deux ou trois fois lors de mes visites auprès d’elle. C’est une sorte d’explosion de sanglots, de larmes, de cris d’une bête traquée, menée à l’abattoir. Ces manifestations désagréables sont réprimées par des médicaments. Par des calmants, quoi ! Un conflit avec son entourage est probablement à l’origine de cette avalanche psychique. Dans les montagnes, on le sait, un simple hé-oh ! peut provoquer une avalanche. Et ici, la neige de solitude s’est massée depuis des décennies.
Impuissante et faible, Marie a fugué deux fois avec son fauteuil électrique. Elle ne sait pas expliquer son plan. Elle fuit le lieu où elle souffre. Elle s’est perdue en ville, évidemment, et a vite été repérée et ramenée au bercail. Elle a un moment de repos incontestable quand je la sors pour une journée, pour aller voir quelques rares connaissances dans la région.
Mais ceci ne suffit pas. Marie ne récupère plus. Peut-être faudrait-il prolonger sa sortie ? La faire venir chez moi un week-end par mois ? Oh, oui. Seulement, je n’ai pas d’ascenseur, pour monter Marie au sixième dans le seizième, dans ma chambre de bonne, qui me sert de logement, de bureau d’écriture, de tout.
Voilà encore une impasse. Puisque Marie meurt. Et je ne peux pas lui donner 48 heures de liberté par mois. Ressent-elle l’abandon, la trahison de son père ? Car elle ne comprend pas ce que veut dire pauvreté, misère, injustice sociale. Comme beaucoup d’autres, même valides, diplômés, habilités à exerser le pouvoir.
La dégradation actuelle de Marie, je la pressentais. Depuis six ans je faisais ce qu’on fait d’habitude : un dossier pour l’O.P.A.C., afin de prendre place dans la queue pour un logement dit social; j’écrivis, naïvement mais sérieusement, au maire de mon arrondissement N°16, écrivain lui aussi ; au maire de Paris, après l’avoir rencontré au salon du livre 2005, au premier ministre R. à qui j’avais eu l’honneur de serrer la main au Festival des Ecrivains Présents 2000 à Poitiers… Aujourd'hui je n’ai plus la force morale d'écrire au Premier Ministre actuel quoiqu’il se déclare poète. Toutes les réponses reçues sont insignifiantes.
Alors… voilà mon dernier « appel au secours », une traduction en mots des hurlements de ma fille. La dernière lettre – une bouteille jetée dans l’océan électronique.
Aidez-moi à sauver ma fille ! Au moins, à la soulager dans son déclin…


Paris, le 19 mars 2006

Saturday, March 18, 2006

Dans la chambre de Marie